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Charles Teamboueon : une vie d’insulaire

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À trop se masturber sur les performances surhumaines des footballeurs actuels, on en oublie l’essentiel : célébrer ceux qui ont fait le football et qui sont décédés en ayant tant donné pour leur passion. Mardi 12 mars, Charles Teamboueon nous a quitté. Coup de projecteur sur ce kanak, relativement méconnu, qui a passé sa vie entre son île de Nouvelle-Calédonie et une autre île … la Corse.

Charles TeamboueonTomber dans l’oubli. C’est le triste sort des retraités du football. Surtout lorsque ceux-ci jouaient dans les années 60. Si certains squattent les ondes de radios ou les chaînes de télés, la plupart voient leurs noms disparaître de la circulation. Jusqu’à l’événement tragique : la mort. C’est ce qui arrive en ce moment avec Charles Teamboueon quoique son décès semble n’avoir marqué que très peu de monde, comme le montre le peu d’articles de presse annonçant la triste nouvelle.

Les trois vies de « Charles ».

L’histoire commence à Bélép, petite commune néo-calédonienne le 6 décembre 1939 . Avant qu’il naisse, la destinée de Charles Teamboueon est déjà toute tracée. Rejoindre la Corse ? Une évidence pour celui qui a vu le jour et grandi sur une île qui a pour signification « l’île du soleil ».  Mais avant de faire le long voyage jusqu’en Corse, Charles Teamboueon a connu la gloire en Nouvelle-Calédonie. En même temps que le football, le néo-calédonien fait tout autre chose. Premier instituteur kanak d’une école catholique à enseigner à des enfants multi-ethniques, il deviendra par la suite directeur de l’école La Conception, à Mont Dore, pas très loin de Nouméa. Conjointement à son métier, Charles joue au football à La Frégate de Saint-Louis, toujours à Mont-Dore où il est aussi entraîneur. Un homme aux trois casquettes qui réussit dans tous ses projets puisqu’il devient  champion de deuxième division de Nouvelle-Calédonie avec son club en 1965 puis de première division en 1966. Entre-temps, le natif de Belep connaîtra les joies de la sélection néo-calédonienne grâce à Guy Elmour (décédé en juin dernier), le sélectionneur qui le convoqua pour une rencontre face à … Stuttgart, le club allemand. C’est bien là qu’on voit que c’était une toute autre époque. Une époque où cette sélection avait fait du bruit puisqu’il était interdit d’appeler des joueurs de deuxième division. Une époque où des territoires français d’Outre-Mer rencontrent des clubs d’Outre-Rhin. Une époque où Charles Teamboueon inscrivit un quadruplé. Pas mal pour une première cape. Sa carrière « internationale » ne s’arrête pas ici. La même année, l’ailier gauche se hisse en finale des deuxièmes Jeux du Pacifique Sud qui se déroulent à Nouméa. Malheureusement, la Nouvelle-Calédonie est vaincue par de redoutables tahitiens. Cette défaite 2-1 ne va cependant pas freiner l’ascension fulgurante de Charles. En fin de saison, il quitte une île de 16 664 km² pour une autre de 8680.

Charles GFCA 1967 1968

D’une île à une autre.

Ce grand déménagement est l’occasion de revenir sur l’important nombre de migrations entre les deux îles. Bien avant Christian Karembeu, les précurseurs d’un tel voyage s’appellent Moise Gorendiawe qui sera rejoint quelques jours plus tard par Marc Kanyan « Case » et , débarqués au Gazelec en 1963. Alors pourquoi ce rapprochement entre les deux îles ? Les raisons sont très simples : le climat d’une part et les similitudes de mentalité entre ces « peuples ». Pour ce qui est des néo-calédoniens en Corse, nous pouvons citer tout azimut Pierre Aussu, Simey Ihily, Jean-Pierre Koindridi, Benjamin Longue, Jacques Zimako et Victor Zéloua. Mais si les premiers cités Moise et Kanyan sont arrivés en Corse, c’est grâce à une tournée du Gazelec en Nouvelle-Calédonie en 1963. Et oui, avant le PSG au Qatar ou Manchester United en Malaisie, d’autres savaient s’exporter mais en revenant avec des joueurs talentueux et non pas des valises pleines de billets. L’aparté finie, on peut aussi citer José Casaroli, un corse « fou de foot » basé à Nouméa qui a tant fait pour ce sport dans les deux îles en faisant venir Zimako et Kombouaré en métropole. Aujourd’hui encore les liens entre l’île de beauté et le Caillou sont nombreux. Des corses travaillent à la Fedcalfoot ( la Fédération Calédonienne de football ) ( un membre du comité directeur est originaire de Vezzani ) et une convention future va lier la Corse et la Calédonie dans l’accueil de certains néo-calédoniens pour la saison prochaine avec la mission de faire honneur à leurs glorieux aînés.

Caravelle Air France

Revenons à son parcours au Gazelec d’Ajaccio. Lorsqu’il signe en décembre 1966, le club vit alors ses quatre glorieuses. Le Gaz vient même de remporter leur troisième titre de champions de France amateurs contre Cambrai. D’un club champion, il passe à un autre club champion. D’un club néo-calédonien, il passe à un club quasi-calédonien. En effet, « Charles » comme il sera vite renommé en Corse, partage l’attaque avec ses compatriotes Marc Kanyan Case et Jean-Pierre Koindridi. Le « carré magique » de l’attaque est complété par Félix Burdino. Le dépaysement donc, il ne le connaît pas. Cela va directement se traduire sur ses performances et celles de son équipe. Champion du groupe Sud-Est du Championnat de France Amateur en 1967, le Gazelec échouera en finale nationale de cette même compétition contre Quevilly. Une rencontre – déjà – marquée par un arbitrage anti-corse, le club haut-normand l’emporta 1-0 sur un pénalty très contestable sifflé à cinq minutes de la fin. Ce ne sera que partie remise, la saison d’après, le Gazelec Ajaccio met la main sur ce trophée. Entre temps, le rapide ailier aura eu le temps de confirmer tous les espoirs placés en lui. Lors de la saison 67/68, le kanak aura affronté le Ballon d’Or Lev Yachine lors d’un amical à Mezzavia entre le Dynamo Moscou et le Gazelec (score final 6-2 pour les Russes).

Lev Yachine Charles Teamboueon

Mais il aura aussi eu tout le loisir d’être un élément important de l’excellente saison des siens. Outre la victoire dans le Groupe Sud-Est du Championnat de France Amateur pour la cinquième fois de son histoire et une quatrième fois consécutive – un record -, le Gazelec brilla en Coupe de France en éliminant deux clubs de Division 1, Monaco en 32ème puis l’AC Ajaccio en seizième, ce qui constituera un duel fratricide et surtout le plus beau souvenir footballistique de la carrière des joueurs du Gaz. Ce sont eux qui le disent. Éliminés par Bordeaux, les ajacciens se concentreront sur le tour final du CFA. Après avoir battu Montluçon (oui oui Montluçon) et Sedan, c’est contre l’Entente Bagneux-Fontainebleau-Nemours ( Oui oui l’Entente Bagneux-Fontainebleau-Nemours) que la finale se jouera. Charles Teamboueon sera un artisan principal de ce match remporté sur le score de 3 à 0. Spectateur du premier but de Kanyan, Charles réalisa des prouesses remarquables pour servir son compatriote, auteur d’un doublé. En deuxième période, le calédonien prit complétement les choses en main pour marquer le troisième but – exceptionnel – suite à un slalom qui aura vu le joueur éliminer six adversaires. Un but que Maradona aurait pu marquer. Par contre Maradona n’aurait certainement pas pu déclarer ce que Charles déclara après la remise du trophée « Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer lorsque j’ai marqué. Pour ma première finale, je suis comblé ». Décidément, un mec pas comme les autres.

La division d’eux

Gazelec 68 69

Alors que la Division 2 change de formule, le GFCA, lui, y accède pour la première fois. À l’époque déjà, le football corse brille : le SCB et l’ACA sont dans l’élite, le GFCA est donc le troisième club insulaire à entrer dans le football professionnel sans toutefois prendre le statut de club pro. Dans cette D2 à 22 clubs, Charles Teamboueon marque des buts au moins autant que le Gaz’ ne marque les esprits. Entouré de Kanyan et Koindridi lors de la première saison, il sera par exemple buteur sur le terrain de Limoges lors d’une victoire 1-3. Dixièmes au classement, les gaziers se maintiendront donc tranquillement grâce à une ossature corso-calédonienne. La saison d’après, c’est le grand chamboulement dans l’effectif puisque Kanyan et Koindridi partent. Mais la colonie venue du Pacifique ne disparaît pas pour autant, Charles est en effet rejoint par Louis Zeloua et Isaac Poulawa, deux attaquants nés à Nouméa. Teamboueon, en excellent joueur, vif, rapide et technique trouvera le chemin des filets à neuf reprises et à chaque fois, ces buts seront extrêmement importants. Buteur décisif contre Cannes (victoire 2-0) et contre Nancy (victoire 2-1), c’est son triplé contre Cannes au match retour qui rentrera dans l’histoire du club. La marche en avant continue, le club termine septième sur seize et Charles finit meilleur buteur de son équipe à égalité avec Cadile et Marcialis. La suite de sa carrière en Corse sera moins réjouissante. En cause, des blessures récurrentes aux ménisques droits et gauches. Sur l’île, Charles aura toutefois laissé des souvenirs impérissables, maltraitant bon nombre de défenses et marquant à onze reprises. Prenant sa retraite en 1972, Charles Teamboueon travailla de longues années en France avant de retourner dans son île natale en 2005. Cependant, des attaches avec l’île de Beauté, Charles en garda des tonnes. En effet, sa femme est corse. Ses voyages sur les terres de Napoléon furent donc nombreux d’autant plus qu’il avait gardé contact avec des anciens du Gazelec. Il revenait d’ailleurs assez souvent à Mezzavia où il était toujours très apprécié. En guise d’hommage, une minute de silence a été respectée avant le match Gazelec – Châteauroux du 19 mars dernier disputé à … Créteil.

Mexico, Mexiiicoooooo

Charles Teamboueon France-Japon

Les bonnes performances du joueur en club ne sont pas passées inaperçues dans la sphère dirigeante du football français de l’époque. Qualifiée pour les Jeux Olympiques de Mexico en 1968, l’Équipe de France devait se rendre dans la capitale du Mexique avec un effectif composé d’amateur, de militaires ou de jeunes, comme le régissait les lois. C’est ainsi que Charles Téamboueon, bien aidé par sa réputation de bon joueur se retrouva dans ce qui allait être une formidable aventure.

La sélection française aux JO 1968 :
Gardiens: Henri Ribul (Castres), Guy Delhumeau (Poitiers). Défenseurs: Michel Delafosse (Quevilly), Bernard Goueffic (Bataillon de Joinville), Dario Grava (B.J.), Jean Lempereur (Aulnoye), Gilbert Planté (Gazelec), Michel Verhoeve (Cambrai), Freddy Zix (Pierrots Strasbourg). Milieux de terrain: Jean-Louis Hodoul (Marseille), Jean-Michel Larqué (Saint-Etienne), Alain Laurier (Reims). Attaquants: Gérard Hallet (Montluçon), Daniel Horlaville (Quevilly), Marc Kanyan (Gazelec Ajaccio), Michel Parmentier (Quevilly), Daniel Périgaud (Montluçon), Charles Teamboueon (Gazelec), Yves Triantafilos (B.J.).

Un an et demi après son arrivée en Corse, il découvre donc les joies du maillot bleu et il devient par la même occasion l’un des premiers calédoniens à participer aux Jeux Olympiques. Il est accompagné dans ce long périple par deux autres gaziers : Planté, et l’autre Cagou Marc Kanyan Case. Dans le groupe A avec la Guinée, la Colombie et le pays hôte le Mexique, l’équipe de France terminera première de son groupe avec deux victoires contre la Guinée (3-1) et le Mexique (4-1) et une défaite contre la Colombie (2-1). L’occasion pour Charles de découvrir des immenses stades comme l’Estadio Cuauhtèmoc de Puebla et d’une capacité de 46 000 places et surtout le Stade Azteca de 105 000 places. Bien loin du petit Mezzavia ou des terrains néo-calédoniens. Mais ce changement de repères n’empêcheront pas Mr Téamboueon de réaliser une grande compétition en marquant le deuxième but contre le Mexique et la seule réalisation française du match contre la Colombie. Qualifiés pour les quarts de finale, les Bleus tomberont face au Japon et plus particulièrement face à l’attaquant du Yanmar Diesel Kunishige Kamamoto auteur de deux buts dans ce match. Inconnu de tous, ce japonais finira tout de même sa carrière avec 76 buts en 75 sélections et avec 202 buts en 251 matchs avec son club. Si Kamamoto brilla, ce fut aussi le cas de Charles qui inscrivit le but égalisateur à la 32ème minute. Insuffisant pour autant car les Bleus paieront un manque de préparation évidente.

Un ultime voyage

Entre son île de naissance et son île d’adoption, une grande histoire d’amour. Et toujours un comportement exemplaire, sur le terrain ou en dehors. En 2007, après avoir longtemps vécu en France, il revient en Nouvelle-Calédonie et à l’AS Mont-Dore (prononcez Mont-Doré) pour entraîner l’équipe première en compagnie de Claude Casimir. Une équipe qu’il hissera jusqu’en finale de Coupe de Nouvelle-Calédonie. Un exploit de plus dans la carrière d’un homme extraordinaire. Il quitta ses fonctions en 2009. Quatre ans plus tard, c’est la Terre qu’il quitta définitivement à cause d’un cancer généralisé. Un palmarès bien rempli, une carrière très vite ascensionnelle, une fin footballistique prématurée et surtout une volonté de faire profiter les autres de son expérience. Nous nous quitterons sur ces mots : « Ce qui me pousse à m’investir encore dans le football, c’est l’envie de donner des exemples aux jeunes du pays, pour qu’ils puissent s’engager davantage dans des postes à responsabilité dans le football et au-delà ».


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